Ce panneau exprime clairement qu'il est dangereux de rentrer à pieds quand on est bourré.

Steven D. Levitt, professeur à l'université de Chicago et Stephen J. Dubner, journaliste au New York Times, qui ont écrit l'excellent Freakonomics, l'expliquent dans leur nouveau bouquin, qui vient de sortir en France, "Super Freakonomics" : il est moins dangereux de prendre sa voiture que de rentrer à pieds quand on a trop bu !

Démonstration (c'est un peu long, mais ça vaut le coup de s'accrocher ) :

Cela fait maintenant des dizaines d'années que l'on essaie de nous faire prendre conscience du risque que représente la conduite sous l'emprise de l'alcool. On sait qu'un conducteur ivre a treize fois plus de risques de causer un accident qu'un conducteur sobre. Et pourtant, beaucoup de personnes continuent de conduire en état d'ivresse.

Aux États-Unis, plus de 30 % des accidents mortels impliquent au moins un automobiliste ayant trop bu, et en fin de nuit, quand les gens sont le plus imbibés, cette proportion s'élève à près de 60 %. Au total, un kilomètre sur 140 est conduit en état d'ivresse, soit plus de 33 milliards de kilomètres chaque année.

Pourquoi tant de conducteurs prennent-ils le volant alors qu'ils ont trop bu ? Peut-être -et c'est le plus inquiétant- parce qu'un conducteur ivre se fait rarement prendre : en moyenne, une fois tous les 43 400 kilomètres. Cela signifie que l'on peut espérer traverser quatre fois les États-Unis d'est en ouest et inversement, en sifflant des bières pendant tout le trajet, avant que la police vienne vous intimer l'ordre de vous garer sur le bas-côté.

Comme la plupart des mauvais comportements, la conduite sous l'emprise de l'alcool pourrait sans doute être éradiquée si l'on prenait des mesures suffisamment dissuasives -comme l'installation de barrages routiers aléatoires, avec exécution séance tenante des contrevenants-, mais il est fort douteux que nos sociétés y soient prêtes.

Revenons à la fête chez vos amis, où vous avez pris ce qui paraît la décision la plus simple : au lieu de conduire, vous allez rentrer chez vous à pied. Cela ne fait jamais qu'un kilomètre, après tout. Vous prenez donc congé de vos amis, vous les remerciez pour cette excellente soirée et vous leur faites part de votre sage décision.

Ils vous approuvent chaleureusement, mais ont-ils raison de le faire ? Il est de notoriété publique que conduire en état d'ivresse est terriblement dangereux, mais marcher en état d'ivresse l'est-il vraiment moins ? En d'autres termes, votre décision est-elle si sage que cela ?

Regardons les chiffres. Chaque année, aux États-Unis, plus de 1 000 piétons ivres sont tués dans des accidents de la circulation. Les uns (y compris en ville) marchaient sur la chaussée ; d'autres (à la campagne) s'étaient allongés au bord de la route pour se reposer ; d'autres encore voulaient traverser une bretelle d'autoroute. Parmi les quelque 13 000 personnes tuées chaque année dans des accidents de la circulation dus à l'alcool, la part des piétons ivres est relativement modeste.

Mais, lorsqu'il s'agit de choisir entre aller à pied et prendre sa voiture, ce ne sont pas les valeurs absolues qu'il faut considérer. La bonne question est la suivante : est-il plus dangereux, quand on a trop bu, de conduire un kilomètre ou de marcher un kilomètre ?

Chaque jour, l'Américain moyen parcourt ainsi environ 800 mètres, sans compter les pas qu'il fait à son domicile ou sur son lieu de travail. Étant donné que les Américains âgés de plus de seize ans sont quelque 237 millions 6, le nombre total de kilomètres parcourus chaque année par des personnes en âge de conduire est de 69 milliards. En considérant qu'un cent quarantième de cette distance est parcourue en état d'ivresse - soit la même proportion que pour les kilomètres parcourus en voiture, cela veut dire que, chaque année, 495 millions de kilomètres sont parcourus par des piétons ivres.

Une simple règle de trois suffit par conséquent à affirmer qu'un piéton ivre risque huit fois plus d'être tué qu'un conducteur ivre.

Il convient toutefois d'apporter immédiatement un correctif : la probabilité qu'un piéton ivre blesse ou tue quelqu'un est infime, ce qui n'est pas le cas d'un conducteur ivre. Dans les accidents mortels liés à l'alcool, 36 % des victimes sont soit des passagers, soit des piétons, soit d'autres conducteurs.

Mais, même en retranchant ces victimes innocentes, marcher en état d'ivresse comporte un risque mortel cinq fois supérieur à celui de conduire en état d'ivresse. Donc, au moment où vous prenez congé de vos amis, le choix semble sans équivoque : il est plus sûr de conduire que de marcher. (Ce qui serait encore plus sûr, évidemment, ce serait de boire moins, ou de rentrer en taxi.)

La prochaine fois que vous aurez sifflé quatre verres de vin dans la soirée, peut-être verrez-vous les choses un peu différemment. À moins que vous ne soyez hors d'état de voir quoi que ce soit, ou que vos amis ne se chargent de tout. Car un véritable ami ne laisse pas repartir à pied un ami qui a bu.


Editions Denoël 2010, où l'on peut également apprendre par exemple quel est le point commun entre une prostituée et un Père Noël de grand magasin, pourquoi souscrire une assurance-décès quand on s'apprête à commettre un attentat-suicide, ou pourquoi les kangourous sont-ils plus efficaces qu'Al Gore pour sauver la planète.

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