• Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon scoot
      Ce beau matin d'été si doux,
      Au détour d'une casse une sorte de dégout
      d' un ancien et vieux deux roues,

    • Les jantes en l'air, comme une femme lubrique,
      Brûlante et suant les poisons,
      Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
      Son carter éventré plein d'exhalaisons.

    • Le soleil rayonnait sur cette chose squelettique
      Comme afin de la cuire à point,
      Et de rendre au centuple à la grande fabrique
      Tout ce qu' ensemble elle avait joint.

    • Et le ciel regardait la carcasse superbe
      Comme une fleur s'épanouir.
      La puanteur de graisse était si forte, que sur l'herbe
      Vous crûtes tomber en panne et vous évanouir.

    • Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
      D'où sortaient de noirs bataillons
      D'huiles, qui coulaient comme un épais liquide
      Le long de ces vivants haillons.

    • Tout cela descendait, roulait comme une vague,
      Ou s'élançait en pétillant ;
      On eût dit que le scoot, enflé d'un souffle vague,
      Vivait en se multipliant.

    • Et ce monde rendait une étrange musique,
      Comme l'eau courante et le vent,
      Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
      Agite et tourne dans son van.

    • Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
      Une ébauche lente à venir,
      Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
      Seulement par le souvenir.

    • Derrière les rochers une grue inquiète
      Nous regardait d'un œil fâché,
      Épiant le moment de reprendre au squelette
      Le morceau de moteur qu'elle avait lâchée.

    • Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
      A cette horrible infection,
      Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
      Vous, mon scoot et ma passion !

    • Oui ! tel vous serez, ô roi des beautés,
      Après les dernières randonnées,
      Quand vous irez, sous terre ou les durs pavés.
      Moisir parmi d'autres scoots et leurs osselets.

    • Alors, ô scoot ! dites au casseur blindé
      Qui vous mangera de ses baisers,
      Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
      De mes amours décomposés !