Eloge de la Courbe
Bonjour à mon cercle d'amis !
Tout au long de mes récentes vacances en Corse a mûri lentement une discussion que je vous livre aujourd'hui. Elle concerne quelque chose qui nous anime tous, qui nous émeut parfois, qui nous fait même tourner la tête, j'ai nommé la Courbe.
Pourquoi majusculer un mot qui désigne une forme si banale qu'on la croise à chaque coin de rue ? Parce que justement, à force de la banaliser, on s'en détourne. Et dans nos quotidiens réglés par les délais serrés, le temps qui passe si vite, on privilégie les lignes droites...
Or c'est oublier que le plaisir réside dans la Courbe. C'est oublier également que l'heure après laquelle on court en ligne droite en croyant gagner du temps tourne elle-même !
C'est pourquoi, fort de cette (re)découverte, j'ai été pris de l'envie d'approfondir ce sujet et de vous en livrer les méandres tortueux. Et quel meilleur terrain que la Corse pour illustrer l'omniprésence de la Courbe dans nos vies rectilignes.
Au départ, je ne voyais que le ruban de bitume pour glorifier la Courbe. Derrière chaque virage se cache une autre succession de Courbes et même les rares lignes droites se parcourent à une vitesse qui forme une Courbe elliptique.
Pourtant, le point commun à chacun des 40000 virages (estimation à la louche) que j'ai franchis sans encombre, c'est un plaisir indicible, celui de vaincre la pesanteur, de faire corps avec la machine en soignant sa trajectoire, de se projeter déjà dans la Courbe suivante.
Et toutes ces courbes malgré leur ressemblances sont toutes uniques. Chacune renferme la petite spécificité qui la caractérise et donne corps au danger qu'il convient de dépasser.
Certaines sont aveugles et incitent à la prudence.
D'autres traversent le paysage en y inscrivant une oscillation singulière.
Mais toutes font naître l'envie du mouvement, le désir de danser, la tentation de pratiquer la géométrie en prenant de l'angle.
Et puis l'œil s'aguerrit et la pensée fait naître des analogies. La première qui vient à l'esprit, quand on parle de Courbes, de plaisir, de désir apparaît si évidente qu'on se surprend à ne l'avoir pas visualisée plus tôt.
Car la Courbe est féminine autant que la féminité est Courbe.
Qui peut démentir que l'analogie entre les Courbes féminines et les vallons Corses est pertinente ? Qui ne rêve pas de dessiner mille lacets du bout du doigt sur la peau de sa bien-aimée ?
Et au fur et à mesure des paysages observés, la réflexions s'affine.
La Courbe est partout. Comme un message subliminal, les Courbes dessinent des signaux dans le paysage.
Chaque ballade me donne l'occasion de constater la beauté qui se dégage de chaque Courbe, chaque lacet, chaque circonvolution... Connaissiez vous cette capacité des racines à s'enticher d'un rocher ?
Tantôt c'est un golfe qui fait admirer la régularité de son arc de cercle au détour d'une série de courbes...
Tantôt un petit bassin niché au creux d'un rocher qui offre sa rondeur à caresser du regard...
L'eau des torrents qui rebondit sur les pierres décrit des trajectoires arrondies.
Et quand on se la prend en cascade sur le râble, c'est l'échine qu'on courbe !!
Les buissons eux-mêmes s'en donnent à cœur joie dans ce concert d'arrondis.
Les vagues s'enroulent sur elles-mêmes pour former de magnifiques rouleaux transpercés par la lumière du soleil.
Et les rochers polis par le vent complètent le tableau.
Lèves-tu la tête la nuit venue ? C'est la lune qui à travers les nuages moutonnants, qui fait admirer son disque parfait.
Je vous laisse méditer sur toute la rondeur de ce monde.
Libre à vous de proposer vos mots et images décrivant votre amour des Courbes.
Pour moi l'affaire est dite et avec cette dernière image (pour aujourd'hui) j'oserai dire que la boucle est bouclée : j'aime la Courbe !
